(saoirse ronan) I danced before I walked

Quand les mères inscrivent leurs filles pour leur première leçon de danse classique, elles s’extasient toutes, sans exception, devant la petite fille en tutu rose, chignon et petits chaussons. Certaines espèrent qu’elles aimeront ça. Quelques-unes se prennent même à rêver d’une fille devenant ballerine professionnelle, et pourquoi pas danseuse étoile.  La mère de Leah avait juste inscrit sa fille parce que celle-ci l’avait harcelée. Elle voulait danser. À trois ans, déjà. Elle rêvait de tutus, de chaussons, de spectacles, de pirouettes… Ses parents se sont toujours demandé d’où cette envie lui était venue. Ce n’était pas comme s’ils lui avaient montré un ballet, à la télévision, ou lui en avaient parlé. Mais elle le voulait. Et une activité physique, chez les enfants, c’est important alors… Ils s’étaient pliés à son envie de ballet. Timidement, et maladroitement, ils s’étaient renseignés pour trouver un cours de danse, puis pour acheter le matériel nécessaire. Et enfin, elle pénétra dans le studio de danse qui la verrait évoluer et s’épanouir, pendant quinze ans.

Dès sa première heure, son professeur remarqua sa détermination. Concentrée, elle ne bavardait pas comme les autres. Elle s’appliquait. Attentive, elle faisait tout pour se corriger et reproduire parfaitement ce qui lui était demandé. Et quelle mémoire. Et quel sourire, quand elle était sur scène ! Elle brillait, littéralement. Sûre d’elle, elle s’amusait, et dansait mieux que toutes les filles de son groupe. L’année suivante, elle fit une heure de plus, et s’améliora plus encore. À huit ans, elle commença les concours de danse, et remporta plusieurs prix. Espoir, seconde place, mais jamais première. Or, dans le monde de la danse, ce n’est pas aussi rose que les tutus que l’on fait porter aux petites danseuses… Concurrence, jalousie,… Beaucoup de jeunes filles rêvaient de vivre de leur passion, mais combien y arrivaient ? Plus elle grandissait, plus Leah se mettait la pression. Ses parents ne pouvaient pas blâmer son professeur, et ils n’y étaient pour rien non plus. Au contraire, ils essayaient de la faire lâcher prise. Ils allèrent même jusqu’à lui interdire de participer à un concours, pour qu’elle se repose. Mais le problème venait d’elle. Elle voulait être la meilleure. Comme ils avaient refusé qu’elle aille dans un lycée spécialisé en danse, elle devait s’entrainer en-dehors des heures de cours. Elle se levait tôt le matin, faisait quelques étirements avant d’aller au lycée, puis, après les cours, filait au studio. Là, elle s’entrainait des heures durant et rentrait tard le soir. Après une douche rapide, elle faisait ses devoirs et leçons, puis se couchait, pour recommencer le lendemain.

C’était un miracle qu’elle ait tenu aussi longtemps.

Dans cette course permanente, elle se mit à sauter les repas. Si, au début, elle parvenait à maintenir le rythme, son corps commença à s’affaiblir. Une fois le lycée terminé, cela empira encore. Elle passait ses journées à s'entrainer, commençant tôt le matin, et terminant tard, le soir. Le tout parfois sans rien avaler. Alors, ce qui devait arriver, arriva. Juste avant une audition, elle s’écroula. Hospitalisée, elle fut forcée de rester plusieurs jours en observation. Ses parents n’avaient rien remarqué. Ils la voyaient si peu… Et elle se couvrait si bien, et jouait si bien la comédie devant eux, allant même jusqu'à manger devant eux, avant de tout vomir ensuite. Ils n’avaient pas vu que c’était si grave. Ils n’avaient pas compris. Désarmés, ils acceptèrent l’offre des médecins, et envoyèrent leur fille en thérapie.

Au centre Hope.

Leah ne s’y rendit pas de gaieté de cœur, au contraire. Jamais ils n’avaient vu leur fille aussi hystérique que lorsqu’ils lui avaient annoncé leur décision. Elle ne voulait pas y aller. Elle ne pouvait pas se le permettre ! Elle devait s’entrainer. Elle devait passer des auditions ! Elle ne pourrait pas faire tout cela, là-bas ! Devant leur détermination, elle cessa de leur parler et se mura dans un silence de pierre. C’est dans cet état qu’elle arriva devant les portes de ce qui était censé être son « refuge ». Sauf que pour elle, il ressemblait plutôt à une prison.

De mauvaise volonté, elle refuse de parler, sauf quand on la pousse à bout ou qu’elle n’a pas d’autre choix. De la même manière, elle ne participe pas avec plaisir aux activités, préférant bouder dans son coin. La seule activité où, à la limite, elle est plus ouverte, c’est en cours de théâtre. Parce que, même s’il ne s’agit pas de danser, elle est sur scène, et peut s’exprimer avec son corps. Et le yoga, parce que ça lui permet de maintenir sa souplesse. Le reste, elle s’en passerait volontiers… Quoique peut-être pourrait-elle apprécier d’aller à l’écurie, si seulement elle le pouvait ou acceptait de s’y rendre. Mais butée et têtue, elle refuse tout ce qui lui est proposé… Si seulement elle pouvait danser…