(matthias schnoenhaerts) knockin' on heaven's door

Tu marches, droit devant toi, les mains dans les poches, avec pour seules possessions les fringues que t’as sur le dos. Tu erres. Tu ne sais pas où tu vas dormir ce soir ; peut-être sur un banc public, ou bien dans le hall d’un immeuble que tu iras squatter après que les gens bien pensants soient rentrés chez eux. Tu ne sais pas, t’as que cent-dix dollars en poche, tu sais que ça ne te mènera pas loin, mais tu préfères ne pas y penser pour le moment. L’essentiel, c’est que tu sois loin de lui, enfin libéré de son emprise, de cette spirale infernale et tu respires de nouveau à fond même si ça t’a coûté le toit que t’avais au dessus de la tête.
On frappe à la porte, des coups désordonnés, furieux. C’est encore lui, c’est sûr, tu l’entends marmonner des paroles indistinctes, pestant contre Dieu sait quoi encore. – J’vais t’apprendre à verrouiller ta porte moi, p’tit con ! Il espère encore t’intimider, mais ce temps là est révolu. Tu ne réponds rien, gardant le silence, surveillant malgré tout que le cadenas ne cède pas.

Tu ne t’es pas rendu compte que tu n’es plus seul. T’étais venu t’abriter de la pluie, loin de penser que le territoire avait déjà été marqué. – Hé, t’es sourd ou quoi ? C’est chez nous ici. Dégage de là. Ils sont trois et t’es tout seul alors tu n’insistes pas. Plus costauds et sûrement plus âgés que toi, tu es courageux mais pas stupide, tu passes ton chemin, décidé à te trouver un nouvel abri pour passer la nuit au sec.

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Dans le silence des écuries, tu récures les boxes que tu avais au préalable vidé de toute la paille souillée. Jamais tu n’aurais pensé t’occuper de chevaux, ni avoir le moindre intérêt pour eux, toi qui ne les avais jamais réellement côtoyés ; d’ailleurs, tu ne pensais pas que ta vie avait un quelconque sens, un intérêt, toi le gamin fugueur, le gamin des rues qui vivait de larcins et délits en tous genres. Hope. Ces quatre lettres, c’était tellement plus que ce concept qui t’était si étranger. L’espoir. Oh tu y as cru au début, tu as cru que partir de chez eux serait la solution, la clé d’une vie meilleure, mais la désillusion a été cruelle, parce que dans la rue, ça n’avait pas été rose tous les jours.
Tu te rappelles de ton arrivée ici, parce que le juge t’avait laissé le choix entre la prison et ce centre pour adolescents et adultes en perdition. Il avait vu en toi un fond qui n’était pas totalement médiocre, pas vraiment mauvais et qui méritait une rédemption. Tu te souviens de tes premières semaines, tu ne comprenais pas ce que tu faisais là ni en quoi ça pourrait bien t’aider à rebondir. Tu n’étais qu’un mec paumé quand t’es arrivé, tu n’as pas su voir. Hope. Tu n’as pas su voir à l’époque que ces quatre lettres étaient tellement plus qu’un mot sur une feuille de papier ou qu’un centre pour les rebus et les faibles comme tu le pensais. Non, ce centre a été ta planche de salut. Un sourire se dessine sur tes lèvres. Maintenant, tu vas pouvoir tendre la main à d’autres, parce qu’il n’y a pas si longtemps, on t’a tendu la main et on a cru en toi, on a cru que tu pourrais faire autre chose que voler pour vivre et te bagarrer.

Le temps de finir ta cigarette, tu te remets au boulot, parce que c’est la seule chose qui te permet d’arrêter de penser. Tu ignores la bourrasque qui se lève et qui défait le lit des feuilles mortes un peu plus loin, qui les fait valser, juste avec le frémissement des branches. Tu ne veux pas laisser ce souvenir revenir te narguer, parce que ces après-midi d’automnes étaient si beaux avec elle, parce qu’elle pouvait tout embellir par sa seule présence. Son prénom est toujours là, dans un coin de ta mémoire, il ne s’est pas complètement effacé mais tu refuses de le prononcer, même à mi-voix. Elle a estimé que sa vie, son bonheur ne t’appartiendraient pas, et tu n’as pas compris lorsque tu as retrouvé l’appartement vide et la lettre sur la table de la cuisine.