(Annasophia Robb) Angeline Parker

Il y a 1 an…

« Je sais que c’est toujours très difficile pour toi d’en parler, mais j’aimerais que tu me racontes encore une fois comment tu as vécu la fusillade. »

Assise sur ma chaise, le regard vide et perdu dans le néant, mon visage était on ne peut plus inexpressif. Mes mains prisonnières de mes jambes serrées étaient une fois de plus moites et je sentais leurs tremblements incontrôlés à l’évocation du mot « fusillade ». En face de moi, le psychiatre essayait de se montrer rassurant. Je n’avais pas envie de repenser à ce drame qui m’avait infligé de terribles souffrances, mais il disait que j’irais mieux si je continuais d’en parler. Je fus parcourue d’un frisson malgré la température agréable alors que les souvenirs revenaient à la surface. J’essayais tant bien que mal de contrôler mes émotions qui commençaient à partir dans tous les sens entre rage, désespoir, tristesse, peur et révolte. J’avais une voix chétive et mal assurée mais à moitié assommée par mes médicaments, ces signes de faiblesse étaient à moitié masqués par le ton monocorde qui sortit de ma gorge :

« Je revenais de l’école de musique et quand je suis arrivée chez moi, j’ai vu que la porte avait été forcée. Le temps que j’arrive dans le salon, j’avais déjà entendu un coup de feu et… »

Les larmes me montèrent aux yeux alors que ma gorge se nouait m’empêchant de continuer. Le toubib’ me laissa tout le temps que j’avais besoin pour me reprendre mais je n’avais qu’une seule envie : que tout cela cesse. Je poursuivis alors dès que je le pus :

« … il venait de tuer ma mère qui voulait l’empêcher de voler nos affaires, et là, il a encore tiré sur mon père qui avait essayé de le désarmé… »

Cette fois-ci je partis dans un profond chagrin, secouée par des soubresauts alors que mes larmes inondaient mon visage. Voilà ce qui s’était passé il y a maintenant trois semaines. Trois semaines d’enfer, où j’étais perdue dans une période dépressive sans précédent. Une seule solution avait réussi à germer dans mon petit esprit, une seule vérité s’était imposer à moi : la mort. Elle était agréable à envisager, elle était libératrice, la fin de toute choses, la fin de la souffrance. Et j’avais décidé de m’ouvrir les veines des poignets. Si le premier passage avec la lame du rasoir avait été hésitant, la vue de mon fluide vitale s’écoulant de la plaie, son agréable chaleur et la perspective réjouissante que bientôt tout serait fini m’avait encouragé à poursuivre mon œuvre.

On m’avait retrouvée au bord de l’inconscience, si faible que je ne pouvais même plus parler pour leur dire de me laisser seule. On m’avait remise sur pied mais maintenant on m’assommait de médocs et voilà ou je me trouvais maintenant : en hôpital psychiatrique, à moitié zombie et à devoir raconter encore et encore comment j’avais perdu mes parents… être bipolaire ça craint…

« Angeline, je sais que tu veux sortir d’ici mais dans ta condition, nous savons tous les deux que ce ne serait pas une bonne idée. En revanche, ce que je peux te proposer c’est un centre dans l’Oregon. Ce n’est pas un hôpital et tu y seras libre de te déplacer comme tu le souhaites. Tu y trouveras beaucoup de personnes prêtes à t’aider à remettre le pied à l’étrier. Tu pourras repartir à ton rythme. Qu’en dis-tu ? »

J’aurais bien voulu lui lancer un regard mauvais, mais c’était avec un air suppliant que je hochais la tête d’un signe d’approbation.

…

Je me réveille en sursaut en pleine nuit, toute en sueur, le cœur battant à 100 à l’heure. Encore un cauchemar, encore et toujours le meurtre de mes parents en plus terrifiant, déformé par le temps et mon esprit malade. Ma main gauche tremble tout ce qu’elle peut et j’essaye de l’immobiliser avec la droite. Je reste un bon moment assise dans mon lit à attendre que tout cela se passe. Je fais même quelques exercices de respiration comme on m’a appris ici au centre. Petit à petit je reprends le contrôle de ma main. Je reste encore quelques instants pour terminer mes respirations lentes avant de décider de retourner me coucher mais je savais que je n’arriverais plus à dormir. Prenant un coussin contre moi, je le serrais du plus fort que je le pouvais : au moins lui il était doux, ne parlait pas ni me jugeait…

Cela faisait plusieurs jours maintenant que j’étais dans ma phase basse, ralentie, démotivée, dégoutée de tout. Plus rien ne me faisait envie, pas même le violon ni le piano mes passions de toujours. L’appétit me manquait, ne serait-ce que parler à quelqu’un devenait une corvée. Dans ces moment-là, je me demandais à quoi je servais et souvent la réponse tournait autour de « Tu ne serais strictement à rien. Tu es un poids mort pour les autres. Tu causes plus de problèmes qu’autres choses. » et cela me travaillait encore et encore alors que je m’enfonçais dans une morosité sans fond. Je savais où ce dangereux chemin pouvait me mener car les cicatrices sur mes poignets me le rappelaient tous les jours mais depuis que j’étais ici, au centre Hope, jamais je n’avais encore réellement pensé à passer à l’acte.

En une année que j’étais en Oregon, mes crises semblaient s’être un peu calmées : plus vraiment de phases manique où je devenais presque incontrôlable tellement je voulais aller vite dans tout et mes phases dépressives quand même moins fortes. Il n’y avait aucun doute que Hope me faisait du bien, un très grand bien même. Bref, aussi bousillée que je pouvais être dans ma tête, j’espère bien que je pourrais prochainement à mon tour aider les autres comme on m’aide aujourd’hui. S’il y a bien une chose que j’ai pu apprendre ici c’est qu’il ne faut jamais perdre espoir… jamais.